Depuis toujours, Regine Leibinger et Frank Barkow de Barkow Leibinger parviennent à évoquer un modernisme classique tout en se tournant indéniablement vers l'avenir. Employant plus de 90 personnes dans leurs bureaux implantés à Berlin et à New York, leur cabinet fait partie des trois agences d'architecture allemandes les plus réputées.
De leurs imposants complexes industriels à des prototypes sur mesure et installations futuristes, en passant par des petites maisons, l'agence déploie les connaissances, matériaux et techniques de fabrication les plus récents en vue de créer des espaces dédiés.
Mieux encore, Barkow Leibinger a recours à son cabinet pour répondre à des défis d'envergure internationale d'une manière dont seuls les architectes ont le secret. Lors d'une visite dans leur agence de Berlin, le duo nous présentent leur vision du métier d’architecte.
Alors que plus de la moitié de la population mondiale vit désormais en ville, quels défis particuliers pensez-vous que seuls les architectes sont capables de relever ?
Leibinger : Le changement climatique ! Berlin a enregistré des températures records pendant presque tout l'été et la chaleur dans notre agence, située dans un bâtiment historique sans climatisation, était étouffante.
En tant qu'architectes, nous avons la responsabilité de réagir au changement climatique. Pour nous, cela se traduit surtout par le fait de réduire notre empreinte écologique en faisant preuve d'ingéniosité et en choisissant judicieusement nos matériaux.
Barkow : Une autre « urgence » dont nous entendons trop peu parler est la pénurie. Moins vous disposez de matériaux, moins vous avez d'opportunités. Il s'agit de défis particuliers auxquels notre génération est confrontée et qui commencent à influencer notre cabinet ainsi que notre façon de travailler.
Une stratégie possible consiste à utiliser des matériaux recyclables et reconstituables. Une autre vise à redéfinir et transformer des bâtiments existants plutôt que d'en construire de nouveaux. Une troisième enfin incite à être plus polyvalent en devenant soi-même expert. Plutôt que d'attendre qu'un concepteur ou un fabricant invente de nouveaux matériaux et solutions, nous pouvons nous-même rechercher, étudier et déterminer de façon proactive des choses.
Vous montrez l'exemple et travaillez souvent à la pointe de la recherche sur des matériaux et techniques de fabrication. Pouvez-vous citer des méthodologies spécifiques que vous expérimentez actuellement et dans lesquels vous placez de grands espoirs ?
Barkow : La recherche représente une part importante du travail effectué au sein de notre cabinet et nous saisissons toutes les opportunités qui s'offrent à nous d'élargir nos connaissances.
Nous avons développé une série de concepts de logements en suivant l'idée de bâtiments cinétiques capables de s'étendre et de se contracter en fonction des besoins. Les idées émises étaient quelque peu futuristes, pour ne pas dire utopiques. Cependant, l'urgence à laquelle elles répondaient est bel et bien réelle. Nous avons de plus en plus besoin de conceptions modulaires et flexibles à même de répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Vous avez pour la première fois laissé libre cours à votre utopisme lors de la création de la cafétéria du campus de Trumpf, près de Stuttgart, un projet reconnu à l'échelle internationale et la toute première cafétéria à se voir décerner un prix d'architecture allemand. Quelle philosophie du design avez-vous suivi pour créer cet espace ?
Leibinger : Il faut souligner que les exigences du projet étaient exceptionnelles : la cantine devait se trouver quatre mètres sous terre et servir de lieu de vie collective à l'usine dans la mesure où tous les tunnels de l'usine y seraient connectés. Nous nous sommes vite rendus compte que l'acoustique allait être un critère majeur. En période d'affluence, les cantines sont généralement des endroits très bruyants et en aucun cas hospitaliers. Le toit en bois, partiellement recouvert de panneaux acoustiques, atténue considérablement le bruit, tandis que les verrières et les façades en verre baignent l'espace de lumière naturelle. Cet endroit est finalement devenu ce noyau d'entreprise, ouvert et polyvalent, que nous avions imaginé.
Barkow : Cette philosophie d’ouverture et de polyvalence s’applique également à plus petite échelle. Lors de la construction de l'une de nos premières tours, nous avions conçu des espaces résidentiels offrant aux habitants une grande flexibilité tant en termes de mode de vie que d'habitat, selon qu'ils le souhaitaient plutôt ouvert ou plutôt confiné. Même si les êtres humains ont leurs habitudes, un espace capable de s'adapter, au design flexible et modulaire, peut être très stimulant, qu'il s'agisse de la cuisine ou d'un autre endroit.
Votre philosophie d'ouverture est en parfaite adéquation avec la flexibilité et la modularité observées dans les appareils de cuisine modernes. Que recherchez-vous lorsque vous équipez une cuisine ?
Leibinger : Les cuisines ont quelque chose de très personnel. La manière de configurer le four, le lave-vaisselle et le réfrigérateur dépend vraiment des préférences et des habitudes de chacun. En ce sens, l'avis de nos clients est primordial, tant dans la sélection des appareils que dans leur emplacement.
Selon le projet, différentes exigences s'appliquent en matière de performance, de prix et de consommation d'énergie. Nous aidons bien entendu nos clients à faire un choix et leur conseillons de privilégier la qualité et la longévité au prix. Par expérience, nous savons qu'il s'agit là d'un bon investissement.
Quelle importance accordez-vous à la cuisine dans votre maison ?
Leibinger : Dans notre appartement, la cuisine fait office de lieu de vie. Nous voulions créer un espace ouvert et accueillant, où il fait bon de passer du temps et partager avec les membres de la famille. Même les petits détails ont leur importance. Notre îlot de cuisine, par exemple, est une petite œuvre d'art : il est recouvert de carreaux de couleur conçus par Claudia Wieser, une artiste berlinoise. Cette caractéristique rend l'espace vraiment unique et donne envie de s'y attarder.
Avec le recul, si vous regardez la cantine de votre agence actuelle capable d'accueillir vos 90 employés, et la cuisine de Schöneberg où votre agence est née, pouvez-vous nous dire en quoi le rôle de l'architecte a-t-il évolué au cours de vos 25 années de carrière ?
Barkow : De nos jours, les architectes ont plusieurs casquettes. Nous sommes à la fois artistes, designers, inventeurs et provocateurs. Nous devons développer des idées et des projets de manière indépendante et proactive plutôt que d'attendre des projets, comme de simples prestataires de services, ce qui était la norme à nos débuts. Il nous faut constamment approfondir nos connaissances et notre expertise des nouveaux matériaux et des nouvelles technologies, mais aussi des problèmes sociaux et environnementaux, ainsi que des réglementations.
Cette vision multi-facettes et multi-disciplinaire de pratiquer l'architecture est très importante pour moi. Certes, nous fournissons un service, mais nous cherchons également à être utiles et à laisser notre empreinte sur la société.
Texte : Sarah Elsing
Photographie : Daniel Gebhart de Koekkoek